Jacques Marchildon affirme que les gicleurs ont été le clou dans le cercueil de Villa Marie-Ange, la résidence pour personnes âgées de 14 personnes dont il est copropriétaire à St-Adelphe, au Québec.
Au cours des prochains mois, l’immeuble de deux étages situé dans la région de la Mauricie, entre Montréal et Québec, sera mis en vente et les personnes qui y vivent actuellement seront toutes relocalisées ailleurs.
Sa fermeture s’ajoutera à celle de plus de 500 résidences pour personnes âgées qui ont fermé au cours des cinq dernières années, selon la province. Les propriétaires et les chercheurs citent comme facteurs la charge des réglementations gouvernementales plus strictes, la hausse des coûts et le vieillissement de la population de locataires qui nécessitent des services de santé de plus en plus complexes.
Pour les petites résidences, le problème des arroseurs est particulièrement important.
Le Québec a rendu obligatoire l’installation de gicleurs dans toutes les résidences pour personnes âgées comptant au moins 10 logements après qu’un incendie a tué 32 résidents d’une résidence pour personnes âgées à l’Île-Verte, au Québec, en 2014. Bien qu’il existe des programmes pour aider à compenser les coûts, les résidences doivent payer d’avance. Marchildon a déclaré que l’offre la moins chère qu’il a trouvée était de 150 000 $ – une somme qu’il n’a pas et qu’il ne peut pas emprunter.
« Il n’y a aucune banque qui prêtera de l’argent, pour quelque raison que ce soit, aux résidences pour personnes âgées de moins de 50 unités », a-t-il déclaré.
Marc Fortin, président du Regroupement québécois des résidences pour aînés, estime que quelque 1 100 résidences ont fermé au cours de la dernière décennie et impute 600 fermetures à l’obligation d’installer des gicleurs. Il explique que le prix des gicleurs est élevé et que les entrepreneurs sont difficiles à trouver, ce qui rend le problème « ingérable ».
Le mandat, imposé il y a dix ans par un gouvernement provincial précédent, est mauvais, a-t-il dit, ajoutant qu’il ne s’applique pas aux autres endroits qui hébergent des personnes vulnérables ou âgées, y compris les petits hôpitaux. « Mais il s’applique (aux résidences pour personnes âgées) parce qu’il y a eu une tragédie à l’Île-Verte. Les politiciens, a-t-il dit, « veulent faire bonne figure ».
Le gouvernement actuel du Québec a reconnu que les règles sur les gicleurs posaient des problèmes aux résidences pour personnes âgées, en particulier les plus petites. Jeudi, il a annoncé qu’il reportait la date limite d’installation des gicleurs de la fin de cette année à décembre 2027.
Fortin salue cette décision, affirmant qu’elle permettra d’éviter la fermeture d’un bon nombre des 363 résidences privées pour aînés qui ne sont pas équipées de gicleurs.
Mais l’obligation d’installer des gicleurs n’est pas le seul défi auquel les maisons sont confrontées. Et ce ne sont pas seulement les petites résidences qui ferment.
Le 8 août, les propriétaires de La Sittelle, une résidence hébergeant 80 personnes âgées à Trois-Rivières, au Québec, ont annoncé sa fermeture, invoquant des difficultés d’embauche de personnel, une augmentation de l’itinérance affectant la sécurité et la qualité de vie, et des exigences croissantes en matière de certification.
« Cette lourdeur réglementaire est devenue un obstacle majeur, rendant la gestion quotidienne de la résidence de plus en plus complexe », a indiqué l’établissement dans un communiqué.
Un rapport publié en mai par le centre de recherche CIRANO révèle que les réglementations entourant les résidences pour personnes âgées se sont multipliées au cours des dernières années, ce qui, combiné à la hausse des coûts, a rendu le modèle actuel « insoutenable ».
Fortin indique que certaines de ces exigences comprennent l’installation de serrures de porte, de caméras de surveillance et de dispositifs pour réguler la température de l’eau du bain, qui sont coûteux et souvent ennuyeux pour les jeunes aînés.
Les chercheurs ont également noté que les résidences privées sont de plus en plus sollicitées pour fournir un niveau de soins beaucoup plus élevé aux résidents qui seraient normalement admissibles à une place dans une maison de soins de longue durée mais qui ne trouvent pas de place.
Fortin note que les résidences pour personnes âgées — qui offrent normalement des services tels qu’un plan de repas, des activités et un certain soutien de la part de travailleurs personnels ou de soins de santé — sont dans certains cas sollicitées pour fournir des soins à des personnes qui ont besoin d’aide pour marcher, se laver, prendre des pilules ou rester propres, y compris de nombreuses personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer.
Bien que la province offre certaines subventions pour des soins plus spécialisés aux résidents, Fortin affirme que le gouvernement rembourse régulièrement moins que le coût des services, obligeant les propriétaires à payer la facture.
« Ils essaient de sous-payer, de ne pas payer beaucoup, ou de nous dire : « faites-le gratuitement parce que nous n’avons pas le budget, alors occupez-vous-en. »
Selon Marchildon, de Villa Marie-Ange, l’augmentation du nombre de personnes ayant des besoins complexes s’inscrit dans un changement sociétal plus large qui pousse les gens à rester plus longtemps chez eux et à retarder leur arrivée dans une résidence pour personnes âgées. Selon lui, la proportion croissante de personnes ayant des besoins complexes fait qu’il est plus difficile pour une petite résidence rurale comme la sienne d’offrir le genre d’activités qui attireraient des aînés plus jeunes et plus actifs.
«C’est une question d’ambiance», a-t-il déclaré.
Le rapport du CIRANO souligne que, malgré une diminution de 23 % du nombre de résidences pour aînés dans la province entre 2015 et 2023, le nombre de places disponibles a légèrement augmenté. Cela s’explique par le fait que les résidences qui ferment sont en grande partie de plus petites installations comptant moins de chambres, souvent situées à l’extérieur des grandes villes.
Selon M. Fortin, l’augmentation du nombre de chambres dans les grandes résidences ne change rien au fait que la fermeture d’une petite résidence en milieu rural représente une perte importante pour une personne âgée, qui doit composer avec le stress de quitter ses amis et sa famille. C’est aussi une perte pour les municipalités, car de nombreux aînés s’impliquent dans la communauté et contribuent à faire vivre l’église locale.
« On perd un peu de l’âme du village quand on est obligé de déplacer les anciens », dit-il.
-Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois le 1er septembre 2024