Le Programme des travailleurs étrangers temporaires du Canada constitue un « terreau fertile pour l’esclavage contemporain », selon un rapport cinglant de l’ONU qui examine les efforts du Canada pour limiter le travail déloyal.
Le programme permet aux employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers pour occuper des emplois temporaires lorsqu’ils ne trouvent pas de Canadiens qualifiés. Le nombre de travailleurs employés dans le cadre de ce programme a considérablement augmenté au cours des dernières années. Selon le rapport de l’ONU, on comptait un peu plus de 84 000 titulaires de permis en 2018. En 2022, ils étaient près de 136 000. La plupart d’entre eux travaillaient dans l’agriculture et dans les secteurs connexes.
Le rapport, rédigé par le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, Tomoya Obokata, indique que le programme place les travailleurs dans une situation de déséquilibre de pouvoir injuste par rapport à leurs employeurs.
Par exemple, si un travailleur est licencié, il peut être expulsé. Certains travailleurs ne sont délibérément pas informés de leurs droits ou ont trop peur de signaler des conditions de travail abusives, écrit Obokata. Selon le rapport, beaucoup d’entre eux sont également pris au piège de la servitude pour dettes alors qu’ils participent à ces programmes.
« Ils peuvent également contracter des dettes auprès de recruteurs tiers, y compris des coûts qui devraient légalement être supportés uniquement par l’employeur », peut-on lire dans le rapport daté du 22 juillet et partagé avec le gouvernement fédéral avant publication.
Le programme est administré par Emploi et Développement social Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada. Au Québec, le gouvernement provincial est un partenaire administratif.
« Le gouvernement délègue une part importante de la responsabilité d’informer les travailleurs étrangers temporaires de leurs droits aux employeurs, malgré le conflit d’intérêts évident », selon le rapport.
Parce que les travailleurs n’ont pas accès à la justice, ils sont exposés à de nombreux autres abus, écrit Obokata.
« La Rapporteuse spéciale a reçu des informations faisant état de sous-paiements et de vols de salaires, de violences physiques, émotionnelles et verbales, d’horaires de travail excessifs, de pauses limitées, de travail extracontractuel, de tâches de direction non rémunérées, de manque d’équipement de protection individuelle, y compris dans des conditions dangereuses… Des femmes ont signalé des cas de harcèlement sexuel, d’exploitation et de violences. »
Dans une déclaration à CTV News, Mathis Denis, porte-parole de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, a déclaré que le gouvernement a récemment augmenté les amendes pour les entreprises qui n’offrent pas des conditions de travail appropriées à leurs travailleurs étrangers.
Au cours du dernier exercice financier, les 2 122 inspections effectuées au Canada ont donné lieu à des amendes totalisant 2,1 millions de dollars, contre 1,54 million de dollars l’année précédente, a-t-il indiqué.
Les employeurs jugés non conformes sont répertoriés sur un site Web public géré par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Parmi les entreprises notables figurant sur cette liste figure un restaurant Domino’s Pizza de Vancouver, où le salaire, les conditions de travail ou les détails du poste ne correspondaient pas à l’offre d’emploi, selon le gouvernement. Cet établissement a été condamné à une amende de 21 000 $.
Une entreprise Freshii de Richmond, en Colombie-Britannique, a été condamnée à une amende de 15 000 $ pour ne pas avoir fourni à un inspecteur les documents demandés, a constaté le gouvernement. La ferme québécoise Ferme L. Campbell et Fils Inc. a été condamnée à une amende de 60 000 $ et à une interdiction de participation au programme pendant cinq ans pour la même raison, et parce que le gouvernement a jugé qu’elle « n’avait pas fait suffisamment d’efforts » pour s’assurer que le lieu de travail était exempt de représailles et d’abus physiques, sexuels, psychologiques ou financiers.
« La santé et la sécurité des travailleurs étrangers temporaires (TET) au Canada sont primordiales », a écrit Denis.
Les réponses à une enquête gouvernementale auprès des travailleurs temporaires ont révélé que la majorité (76 %) des travailleurs étaient au courant de leurs droits et de leurs responsabilités, a-t-il ajouté. Environ 80 % des 1 600 travailleurs interrogés ont déclaré que leur connaissance de leurs droits et des services disponibles s’était améliorée.
« Il incombe aux employeurs qui embauchent des travailleurs étrangers temporaires d’assurer leur sécurité et leur bien-être pendant toute la durée de leur emploi. Il incombe au gouvernement fédéral de veiller à ce que les employeurs se conforment au programme et de demander des comptes à ceux qui ne le font pas », a écrit Denis.