Attention : cette histoire contient des détails sur le suicide.
La Société de transport de Montréal a déclaré qu’elle n’avait pas l’intention d’installer des portes palières dans le métro dans l’immédiat, malgré les appels répétés des coroners du Québec qui affirment que ces barrières de sécurité peuvent prévenir les suicides et les assurances de la province selon lesquelles les coûts de leur installation seraient couverts.
La nouvelle ligne de métro léger de la ville, le Réseau express métropolitain (REM), a été ouverte au public en juillet 2023 et a été le premier réseau de transport en commun de cette taille en Amérique du Nord à installer des barrières de sécurité dans toutes ses stations. Les barrières automatisées s’étendent sur toute la longueur du quai et ne s’ouvrent que lorsque le train est arrivé et arrêté à la station, empêchant les personnes ou les objets de pénétrer sur les voies.
Mais aucune station du réseau de métro de Montréal, beaucoup plus vaste, n’est dotée de telles structures. Pas plus tard que l’an dernier, un coroner a demandé à la Société de transport de Montréal (STM) d’en installer après qu’un passager soit entré dans la station Berri-UQAM un jour de janvier 2023, à l’heure de pointe, et se soit suicidé.
Elle avait 12 ans.
«La mort (de la jeune fille) causée par la collision avec la rame de métro aurait pu être évitée si des portes quais avaient été en place», écrit la coroner Karine Spénard dans son rapport d’enquête obtenu par CTV News.
Un ouvrier inspecte la porte palière installée dans une station du REM dans le Grand Montréal. Les portes coulissent lorsque le train arrive et s’arrête en station. (Source : REM/YouTube)
Dans son rapport, Mme Spénard a souligné les dizaines de suicides survenus au cours des dernières années dans le métro et a précisé que « chacun de ces événements a fait l’objet d’un rapport du coroner et dans plusieurs de ces rapports, il a été recommandé d’installer des portes pour limiter l’accès aux voies du métro ».
« Afin de mieux protéger la vie humaine, je recommanderai donc à la Société de Transport de Montréal de poursuivre son projet d’installation de portes palières. J’ai discuté de cette recommandation avec un représentant de la Société de Transport de Montréal, qui l’accueille favorablement », peut-on lire dans le rapport.
Le coroner a également recommandé au ministère des Transports du Québec de « fournir le financement approprié pour que la Société de Transport de Montréal puisse procéder à l’installation de portes quais dans toutes les stations de métro ».
Les programmes provinciaux couvriraient jusqu’à 100 % des coûts
La recommandation formelle après le décès de la jeune fille n’a pas accéléré le processus de la STM dans ce dossier, même s’il existe un programme d’aide gouvernementale qui aiderait à le financer.
Des membres des médias montent à bord d’un train lors d’une visite médiatique du Réseau express métropolitain (REM) à Brossard, au Québec, le jeudi 10 juin 2021. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson
Le ministère des Transports a déclaré à CTV News qu’il existe trois programmes d’aide à l’investissement en transport en commun qui couvriraient la totalité du coût de l’achat et de l’installation des portes palières du métro de Montréal.
En effet, la porte-parole du ministère, Sarah Bensadoun, a indiqué dans un courriel que le taux d’aide financière pour les projets de développement du métro, incluant les barrières de sécurité, « a été augmenté de 75 % à 100 % dans le cadre du Programme d’aide gouvernementale au transport collectif des personnes », qui est l’un de ces programmes.
Un porte-parole de la STM a déclaré qu’elle avait déjà étudié le projet de portes quais, mais qu’elle avait plutôt donné la priorité à d’autres projets de modernisation du réseau en raison des « paramètres financiers difficiles » auxquels l’agence de transport a été confrontée à la suite de la pandémie.
Amélie Régis a indiqué dans un courriel que la STM a prévu 5 millions $ pour étudier le projet « vers 2032 » dans le cadre de son programme d’investissement 2024-2033.
Un train entre en gare lors d’une tournée médiatique du Réseau express métropolitain (REM) à Brossard, au Québec, le jeudi 10 juin 2021. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson
La modernisation de toutes les stations s’avérerait une tâche complexe et coûteuse. Un porte-parole de la STM a refusé de dévoiler le coût de l’installation des portes palières Alstom dans son réseau. Pour ce qui est du métro, la STM affirme que sa future étude permettra d’estimer le coût global.
Interrogée sur les programmes d’aide financière offerts par le gouvernement pour le projet de portes quais, la STM a pointé du doigt un manque général de financement adéquat de la part du Québec pour l’entretien de ses actifs, rendant plus difficile la réalisation de nouveaux projets.
« Le Plan québécois des infrastructures 2024-2034 (PQI) prévoit des investissements pour le maintien des actifs en transport collectif de 2,4 milliards de dollars, soit le niveau le plus bas depuis 2013 (…) ces investissements ne représentent que 41 % des sommes qui étaient disponibles en 2013. Et nos programmes de maintien des actifs n’ont pas été inclus dans le PQI », a précisé M. Régis.
« Nos besoins annuels en matière d’entretien des actifs s’élèvent à quelque 560 millions de dollars (uniquement pour le métro). Sachant cela, nous devons prioriser certains projets au détriment d’autres afin de maintenir la sécurité du réseau du métro. »
La STM a décidé de revenir sur son projet de réaménager 13 stations de la ligne orange avec des portes palières, même si la province s’était engagée à couvrir 75 % des coûts, rapportait la Gazette de Montréal en juillet 2022.
Le journal rapportait à l’époque que parmi les stations qui auraient dû faire partie du projet figurait celle de Crémazie, où, en 2020, un homme de 20 ans était décédé après être tombé sur les voies alors qu’il était en état d’ébriété. Il affirmait également que le coroner qui avait examiné le décès de l’homme avait recommandé à la STM d’installer des barrières de sécurité sur les quais et que, malgré une lettre de la province exhortant la STM à reconsidérer l’abandon du projet, la société de transport avait quand même décidé de l’annuler, invoquant des pressions pour réduire les coûts.
92 suicides dans le métro au cours des neuf dernières années
Plusieurs villes du monde entier ont installé des barrières dans leurs réseaux de métro, notamment Paris, Stockholm, Tokyo, Londres et Melbourne. Elles sont largement considérées comme un outil efficace pour prévenir non seulement les suicides, mais aussi pour empêcher les objets de tomber sur les voies et de provoquer des perturbations.
Des portes palières ont été installées dans le métro de Melbourne, en Australie. (Source : vic.gov.au)
Le décès de la jeune fille de 12 ans l’an dernier est l’un des près de 100 suicides survenus dans le métro de Montréal au cours des neuf dernières années. Selon les statistiques fournies par le Bureau du coroner, 92 suicides ont été recensés dans le métro entre 2015 et 2023 dans les stations de l’ensemble du réseau. Ces chiffres laissent entrevoir une diminution apparente des suicides au fil des ans, avec 13 décès enregistrés en 2015 et six en 2023.
Les chiffres du coroner ne tiennent pas compte du nombre de tentatives de suicide dans le métro ni du nombre de décès accidentels. À ce sujet, la STM a indiqué à CTV News qu’entre 2015 et 2023, il y a eu 169 tentatives de suicide dans le réseau du métro. Le nombre d’interventions des employés de la STM est aussi en hausse, «ce qui démontre que nos initiatives de prévention portent fruit», a indiqué M. Régis. Entre 2013 et 2023, il y a eu 2010 interventions qui ont permis de prévenir le suicide.
Prioriser les portes pour les nouvelles lignes, augmenter les ressources dans la communauté : les experts
Cécile Bardon, experte en prévention du suicide, a déclaré dans une interview que la mort de la jeune fille est une tragédie car « nous considérons le suicide comme une mort évitable sur laquelle nous pouvons agir avant qu’elle ne survienne ».
Bien qu’elle ait déclaré que les portes palières sont probablement le meilleur moyen d’empêcher quelqu’un de mettre fin à ses jours dans le métro, elle a déclaré qu’elle avait quelques hésitations quant à l’approche étroite et unilatérale du coroner.
« Cela arrête la dernière étape du processus suicidaire d’une personne. Cela ne réduit rien de ce qui la précède », explique Mme Bardon, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice associée du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, les enjeux éthiques et les pratiques de fin de vie (CRISE).
Une meilleure stratégie de prévention du suicide est « multidimensionnelle », a-t-elle déclaré, ce qui signifie qu’elle comprend non seulement la réduction de l’accès aux voies, mais également la fourniture d’un soutien approprié en matière de santé mentale dans le système de métro et dans la communauté, la réduction de la pauvreté, l’augmentation de l’inclusion sociale pour les communautés défavorisées et un meilleur soutien aux adolescents à l’école.
« Si (le coroner) avait dit qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites à différents niveaux du continuum de prévention, je serais plus à l’aise parce que cela mettrait en avant différentes techniques utiles de prévention du suicide qui peuvent être mises en œuvre – et devraient être mises en œuvre – et peuvent être plus facilement réalisées dans les limites des moyens financiers, sociaux, mécaniques et architecturaux dont nous disposons actuellement », a déclaré Bardon.
« C’est un plan sur 20 ans. »
Cécile Bardon est professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice associée du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, les enjeux éthiques et les pratiques de fin de vie (CRISE). (CTV News)
Hugo Fournier, président et directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide, convient que même si les barrières sont éprouvées pour réduire les suicides, elles demeurent un équipement coûteux et complexe.
« Chaque suicide est un suicide de trop, et la mort d’un enfant par suicide est quelque chose qui nous touche très profondément en tant qu’organisation œuvrant à la prévention du suicide », a-t-il déclaré dans une déclaration écrite.
« Si l’argument des défis techniques et financiers que représente l’installation généralisée de ce type de dispositif dans les gares existantes est valable, le déploiement de nouvelles lignes ou l’extension de lignes existantes devrait certainement, à notre avis, offrir plus de place à cette option. »
Comment la STM intervient auprès des personnes en détresse dans le métro
La STM indique que tous ses employés et directeurs de station reçoivent une formation en prévention du suicide pour détecter les comportements préoccupants et signaler les situations qui peuvent être traitées rapidement.
Lorsque la salle de contrôle est informée de la présence d’une personne en détresse, les opérateurs de train sont priés d’entrer en gare à vitesse réduite.
La STM s’est également associée au Centre de prévention du suicide de Montréal pour installer des affiches aux extrémités des quais offrant de l’aide à une personne qui pourrait en avoir besoin.
Elle travaille également avec des chercheurs sur un nouveau projet d’intelligence artificielle (IA) visant à identifier certains comportements sur les caméras de surveillance afin que les systèmes puissent prendre des mesures pour prévenir un suicide.