Le Québec veut réduire sa part d’étudiants internationaux pour alléger la pression du logement et protéger la langue française, mais une récente augmentation des permis d’études a principalement bénéficié à des personnes provenant de pays francophones où la province a explicitement cherché à attirer plus d’étudiants.
Bon nombre de ces permis ont été attribués à des personnes fréquentant des écoles à l’extérieur de Montréal, dans des régions où le gouvernement a promis de ne pas cibler les programmes qui dépendent largement des étudiants étrangers.
Le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, a déposé un projet de loi plus tôt ce mois-ci qui donnerait au gouvernement un large pouvoir discrétionnaire pour plafonner le nombre d’étudiants internationaux en fonction de la région, de l’établissement et du programme d’études. Le gouvernement pourrait également tenir compte de la langue.
Roberge a déclaré que le nombre d’étudiants étrangers au Québec a augmenté de 140 pour cent, passant de 50 000 en 2014 à 120 000 l’année dernière, un nombre qu’il a qualifié de « trop élevé ». Il a suggéré que certains collèges privés utilisent l’éducation comme « un modèle commercial pour vendre la citoyenneté québécoise et canadienne » et en a souligné deux – sans les nommer – qui ont vu une augmentation considérable des inscriptions d’étudiants internationaux au cours des deux dernières années.
Mais les chiffres fédéraux et provinciaux dressent un portrait différent. Ils montrent une forte augmentation du nombre d’étudiants internationaux dans les collèges publics et privés subventionnés par le gouvernement et dans les universités francophones, ce qui correspond à la politique gouvernementale. Entre-temps, les inscriptions dans les collèges privés non subventionnés ont explosé.
«Si on essaie de comprendre pourquoi il y a eu une augmentation de notre réseau, c’est parce que nos collèges ont répondu à l’appel du gouvernement de recruter davantage dans les pays francophones, et en particulier (pour) les régions du Québec», a déclaré Patrick Bérubé, président-directeur général de l’Association québécoise des collèges privés subventionnés. «Nous essayons actuellement de comprendre exactement quel problème le gouvernement tente de résoudre avec ce projet de loi.»
Le gouvernement fédéral a délivré environ 61 000 permis d’études à des étudiants étrangers dans des établissements postsecondaires au Québec en 2023, contre 51 000 l’année précédente. L’augmentation des permis a bénéficié presque exclusivement aux étudiants des pays francophones, principalement d’Afrique du Nord et de l’Ouest.
Un plan stratégique 2023 du ministère de l’Enseignement supérieur du Québec indique qu’attirer les étudiants internationaux dans les collèges et universités francophones est « une priorité du gouvernement » dans le cadre d’une « course mondiale aux talents ».
Depuis septembre 2023, le gouvernement a commencé à exempter certains étudiants étrangers fréquentant des collèges et universités francophones à l’extérieur de Montréal des frais de scolarité pour étudiants internationaux, leur permettant ainsi de payer les mêmes frais de scolarité que les Québécois. Cette mesure visait à attirer de nouveaux arrivants dans différentes régions de la province et à combler la pénurie de main-d’œuvre au Québec.
Près de 85 pour cent de l’augmentation des permis d’études entre 2022 et 2023 est allée à des étudiants prévoyant fréquenter des universités et collèges éligibles à cette exemption. À l’Université du Québec en Outaouais à Gatineau, le nombre de permis d’études en 2023 a plus que triplé par rapport à l’année précédente. Le campus de Trois-Rivières du Collège Ellis, un collège privé subventionné, a connu une multiplication par neuf.
De nombreuses écoles régionales affirment dépendre des étudiants internationaux pour maintenir leurs programmes à flot. Sylvain Gaudreault, président d’un groupe représentant les collèges publics régionaux, connus sous le nom de cégeps, a déclaré que de nombreux collèges ont besoin d’étudiants étrangers pour maintenir le nombre d’étudiants étrangers dans les régions en déclin démographique.
«Il y a certains cégeps où (les étudiants internationaux) correspondent à 30 pour cent de leur clientèle», a-t-il précisé.
Certaines universités régionales comptent également beaucoup sur les étudiants étrangers. L’an dernier, les étudiants étrangers représentaient plus du tiers des inscrits à l’Université du Québec à Chicoutimi, dans la région du Saguenay.
Roberge a déclaré que son gouvernement ne ciblerait pas les programmes régionaux. «L’objectif du projet de loi est de doter le Québec de nouveaux leviers juridiques pour mieux encadrer le nombre d’étudiants étrangers», a indiqué son bureau dans un communiqué. «Nous souhaitons préserver et assurer la pérennité des programmes régionaux et tenir compte de nos besoins en main-d’œuvre.»
Lorsque Roberge a annoncé la nouvelle loi, il a laissé entendre que les écoles de Montréal constituent le problème, car près de 60 pour cent des étudiants étrangers se trouvent dans la région de Montréal. Tout en affirmant que le projet de loi « ne vise pas à s’attaquer au réseau anglophone », il a ajouté que « évidemment, les effectifs seront réduits dans la région de Montréal, et on sait que les principales institutions anglophones sont dans la région de Montréal ». «.
Depuis 2014, le nombre d’étudiants internationaux dans les universités et collèges du Québec a augmenté partout. McGill et Concordia, les deux universités anglophones de Montréal, ont les nombres individuels les plus élevés de la province. Mais le nombre d’étudiants étrangers dans les universités anglophones est resté stable depuis 2018, tandis que celui des universités francophones a continué d’augmenter.
Les collèges publics ont également connu une tendance à la hausse constante, tout comme les collèges privés subventionnés, avec une augmentation notable du nombre d’étudiants du Cameroun, du Maroc, de la Côte d’Ivoire et d’autres pays africains où le français est largement parlé.
Pendant ce temps, le réseau de collèges privés non subventionnés de la province a vu les inscriptions d’étudiants internationaux chuter de plus de 90 pour cent depuis 2020, après que le gouvernement a réprimé ce qu’il considère comme des pratiques abusives.
Après qu’une enquête de Radio-Canada en 2020 a documenté une augmentation spectaculaire du nombre d’étudiants indiens inscrits dans certains collèges privés, la province a lancé une enquête et a finalement décidé que les étudiants des collèges non subventionnés ne seraient plus éligibles aux permis de travail postdiplôme, à compter de septembre 2023.
Ginette Gervais, présidente de l’Association québécoise des collèges privés non subventionnés, a déclaré que la nouvelle loi pourrait paralyser les collèges privés déjà durement touchés par la perte de permis de travail. «Si notre réseau est ciblé, cela pourrait menacer la viabilité de plusieurs établissements», a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Mais Bérubé, qui représente les collèges privés subventionnés qui n’ont pas été touchés par la décision, a affirmé que la modification des permis de travail avait effectivement résolu le problème des usines à diplômes du Québec. Il a déclaré que le nouveau projet de loi «s’attaque à un problème qui a déjà été résolu».
Même si Roberge a pointé du doigt les collèges privés lors de l’annonce de la nouvelle loi, ces écoles comptaient moins de 6 000 étudiants étrangers en 2023, comparativement à plus de 56 000 dans les universités québécoises.
Le nouveau projet de loi fait partie d’une tentative plus large du Québec visant à réduire le nombre de résidents non permanents dans la province, qui se situe actuellement autour de 600 000. Le gouvernement a particulièrement exprimé sa volonté de réduire de moitié le nombre de demandeurs d’asile au Québec.
Les établissements postsecondaires partout au Canada ont connu une augmentation du nombre de demandes d’asile d’étudiants étrangers au cours des dernières années, et les écoles du Québec comptent parmi les chiffres les plus élevés. Roberge a mentionné cette tendance lorsqu’il a annoncé le projet de loi, affirmant qu’il ne voulait pas que les gens « utilisent les visas étudiants pour faire une demande d’asile ».
Au 31 août, le Québec abritait cette année neuf des 20 meilleurs établissements au Canada pour les demandes d’asile. Nombreuses sont les écoles régionales qui ont connu de fortes hausses d’étudiants étrangers, notamment l’Université du Québec à Chicoutimi, qui a dénombré 300 demandes d’asile jusqu’à présent cette année.