Le gouvernement du Québec a gelé deux flux d’immigration majeurs qui ouvrent la voie à la résidence permanente, après s’être plaint pendant des années que le nombre de nouveaux arrivants s’installant dans la province menaçait sa langue et sa culture.
Le moratoire intervient cependant le jour même où le gouvernement provincial a annoncé son intention d’accueillir jusqu’à 67 000 immigrants en 2025, soit plusieurs milliers de plus qu’en 2023 et que ce qui était prévu pour 2024.
S’adressant aux journalistes à l’Assemblée législative jeudi, le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, a déclaré qu’à compter d’aujourd’hui, la province suspendait les candidatures au Programme de l’expérience québécoise, un cheminement vers la résidence permanente pour les étudiants étrangers qui obtiennent leur diplôme dans la province. De plus, le gouvernement a cessé d’accepter les candidats du Programme régulier des travailleurs qualifiés.
Ces deux programmes regroupent la majorité des immigrants économiques du Québec, dont la sélection est contrôlée par le gouvernement provincial. Les autres principaux volets – la réunification familiale et le programme pour les réfugiés – sont largement contrôlés par le gouvernement fédéral.
Le gel sera maintenu jusqu’en juin 2025 au plus tard, le temps qu’il faudra à la province pour présenter son plan d’immigration pour 2026, a indiqué M. Roberge. Qualifiant le moratoire du gouvernement de « courageux », Roberge a déclaré que la suspension des programmes permettrait à la province d’acquérir plus de contrôle sur l’immigration.
En 2022, le premier ministre François Legault avait déclaré qu’il serait « suicidaire » pour la province d’accepter plus de 50 000 immigrants par année, en raison de la menace qu’ils représentent pour la survie de la langue française. Mais le plan d’immigration de Roberge, déposé jeudi, prévoit que la province accueillera jusqu’à 67 000 personnes en 2025. Il y avait environ 52 800 immigrants en 2023 et la province prévoit en accueillir jusqu’à 61 450 en 2024.
Malgré l’augmentation du nombre de nouveaux arrivants prévue pour 2025, Roberge affirme qu’un pourcentage plus élevé d’entre eux parleront français que les années passées.
«2025 sera une année exceptionnelle dans le sens où pour la première fois, la proportion d’immigrés connaissant le français avoisinera les 80 pour cent», a-t-il déclaré aux journalistes.
Et parce qu’ils connaîtront le français, a déclaré Roberge, accueillir jusqu’à 67 000 personnes ne constituera pas une menace aussi grande pour la langue et la culture du Québec. «Quand on change notre analyse et qu’on augmente le nombre de francophones diplômés au Québec et qui s’intègrent au Québec, je pense qu’on peut ajuster notre gouvernance sans rien renier sur ce qui a été dit.»
En août, le Québec a annoncé un gel de six mois pour certaines demandes de travailleurs étrangers temporaires à Montréal, et en octobre, le gouvernement a présenté une loi visant à plafonner le nombre d’étudiants internationaux dans la province.
Le Québec s’est battu avec Ottawa au sujet de l’immigration ces derniers mois, demandant plus de pouvoir pour décider qui peut s’établir dans la province et exigeant qu’Ottawa relocalise de force les demandeurs d’asile vers d’autres régions du pays.
Outre les personnes arrivant au Québec à titre d’immigrants permanents, le nombre d’immigrants temporaires a explosé au cours des dernières années. L’agence des statistiques du Québec indique que le nombre d’immigrants temporaires dans la province — travailleurs étrangers, étudiants internationaux et demandeurs du statut de réfugié — a dépassé 560 000 en janvier 2024. Les données montrent également que le Québec accueille 54 pour cent des demandeurs d’asile au Canada.
Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a déclaré jeudi que le Québec avait le droit de fixer ses taux de résidence permanente et de renforcer la langue française, mais il a déclaré que le plan d’immigration de la province était « incomplet ».
«Nous n’avons toujours rien vu de (Legault) en ce qui concerne les réductions des résidents temporaires», a déclaré Miller aux journalistes sur la Colline du Parlement. «C’est quelque chose que nous devons voir. Je pense que les Québécois le réclament parce que c’est un défi auquel le Canada tout entier est confronté, mais le Québec en a fait un enjeu très politique. »
Entre-temps, l’annonce de jeudi a suscité l’ire de certains organismes représentant le milieu des affaires du Québec.
«Cela ajoutera sans aucun doute beaucoup de pression sur les petites et moyennes entreprises», a déclaré la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante dans un communiqué, ajoutant que la suspension des programmes exacerberait les pénuries de main-d’œuvre.
Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec ont fait écho à ce message, affirmant que le gouvernement a pris cette décision sans consulter les entreprises et qu’elle aura un impact négatif sur l’économie de plusieurs régions du Québec où il y a des milliers de postes vacants dans le secteur manufacturier.
— Avec des dossiers de David Baxter à Ottawa.