Les entreprises font face à la confusion alors qu’elles se préparent aux nouvelles règles linguistiques du Québec l’année prochaine

D’ici un peu moins d’un an, des éléments importants de la nouvelle loi sur la langue française devraient entrer en vigueur pour les entreprises opérant au Québec. Même si beaucoup se préparent à l’application des …

Les entreprises font face à la confusion alors qu'elles se préparent aux nouvelles règles linguistiques du Québec l'année prochaine

D’ici un peu moins d’un an, des éléments importants de la nouvelle loi sur la langue française devraient entrer en vigueur pour les entreprises opérant au Québec. Même si beaucoup se préparent à l’application des lois, les futures exigences suscitent encore un certain stress, notamment en raison de la paperasse impliquée et de ce que certains considèrent comme un manque de clarté.

À l’approche du 1er juin 2025, Isabelle Jomphe et Brittany Carson, deux avocates du cabinet Lavery, ont les bras occupés. Depuis l’adoption du projet de loi 96 en 2022, ils aident de nombreuses entreprises au Québec et à l’étranger à se conformer aux différentes modifications.

«Nous arrivons à la dernière loi. Il faudra donc chercher les petits détails supplémentaires pour essayer de conseiller au mieux les entreprises et éviter les mauvaises surprises le 2 juin 2025», a déclaré Jomphe dans un entretien.

L’avocate consacre une grande partie de son temps aux questions liées à la future réglementation des marques.

L’un d’eux concerne la signalisation commerciale extérieure. Le français devra apparaître « clairement prédominant » lorsque la marque d’une entreprise est affichée dans une langue autre que le français. Une entreprise qui possède un nom avec une expression tirée d’une langue autre que le français est également concernée par la mesure.

« Cela pourrait obliger les commerçants à apporter des changements majeurs à leurs vitrines s’ils ne répondent pas déjà à ce critère », a déclaré Jomphe.

Carson travaille sur la question de la francisation, qui touchera désormais les petites entreprises de 25 à 49 employés. Ils doivent s’inscrire auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF) avant le 1er juin 2025 et entamer les démarches de francisation.

Il s’agit de réaliser une analyse linguistique pour démontrer l’usage répandu du français à tous les niveaux de l’organisation et d’obtenir un certificat de francisation de l’OQLF.

Carson a déclaré que bon nombre des questions qu’elle reçoit proviennent d’entreprises dont le siège social est à l’extérieur du Québec.

«Pour les gens qui peuvent travailler au quotidien avec des gens hors Québec qui ne parlent pas français, qui n’écrivent pas en français, c’est tout un défi», explique l’avocat en droit du travail et de l’emploi.

Toujours un «manque de compréhension»

Selon François Vincent, vice-président du Québec à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), il existe encore un « manque de sensibilisation à ce qui s’en vient » parmi ses membres.

«Surtout le fardeau administratif de se faire dire qu’ils fonctionnent bien en français», a-t-il ajouté, faisant référence aux documents que les entreprises devront remplir dans le cadre du processus de francisation.

La FCEI estime qu’il faudra entre 20 et 50 heures aux entreprises pour répondre aux questions liées à la francisation. Et selon les dernières données de l’OQLF, la plupart d’entre eux se verront dire qu’ils respectent leurs obligations linguistiques, croit Vincent.

Au 31 mars 2023, 66 % des entreprises certifiées « ont obtenu leur certificat sans avoir à mettre en place un programme de francisation », selon le rapport annuel de gestion 2022-2023 de l’OQLF.

Les entreprises étant aujourd’hui confrontées à de nombreux défis, le processus de francisation pourrait bien figurer en bas de leur liste de priorités, a déclaré Vincent.

«Non pas qu’ils ne veuillent pas le faire, ni qu’ils ne fonctionnent pas en français. C’est juste que c’est une vraie cohue en ce moment. La première conséquence de la pénurie de main d’œuvre, c’est que le chef d’entreprise est sur le terrain pour mettre éteindre les incendies», a-t-il déclaré.

Son organisation s’affaire à informer ses membres avec une page web et des webinaires dédiés aux nouvelles obligations. Sur son site Internet, la FCEI a également lancé un compte à rebours avant l’adoption des nouvelles règles.

Vincent estime que Québec pourrait faire un « effort supplémentaire » pour mieux informer les entreprises.

L’OQLF prévoit « des actions de sensibilisation pour informer les entreprises des nouvelles exigences ».

«Il proposera un accompagnement personnalisé pour permettre aux entreprises de valider leur projet de correction, si nécessaire», précise l’office par courrier électronique.

Zones grises

La mise en œuvre des nouvelles règles provoque une « frustration » chez les détaillants, a déclaré Damien Silès, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail.

«Parce que cela prend du temps, cela prend de l’argent. Et c’était déjà très strict, donc cela rend certains de nos détaillants un peu grincheux», a-t-il déclaré, soulignant que la législation sur l’affichage des marques avait déjà été mise à jour il y a quelques années.

Véronique Proulx, présidente-directrice générale des Manufacturiers et Exportateurs du Québec, a souligné que ses membres sont « encore très sceptiques » quant à l’utilité et à la pertinence des mesures.

«Il y a aussi un manque de clarté», a-t-elle souligné. «Ce que nous avons souvent demandé à l’OQLF, c’est un guide clair.»

L’absence d’un guide d’application crée une certaine « inquiétude chez les entreprises, car on ne sait pas si on s’y conforme ou non », a expliqué M. Proulx.

Beaucoup attendent avec impatience la version définitive du règlement sur la langue du commerce et des affaires pour clarifier les nouvelles dispositions.

«Il reste encore quelques zones d’ombre», constate Jomphe. «Il y a encore des points qui restent sujets à interprétation, nous espérons donc plus de clarifications.»

Le ministère de la Langue française du Québec a déclaré que « le règlement sera rendu public sous peu ».

Silès espère que les détaillants disposeront de plus de temps pour se conformer.

« Quatre-vingt pour cent des 32 000 entreprises du Québec comptent moins de 20 employés. Elles n’ont donc pas les mêmes moyens de changer », a-t-il expliqué.

Quant à savoir si elle sera flexible ou tolérante dans son application, l’OQLF a indiqué que « certaines mesures transitoires ont été prévues, notamment pour permettre la vente de produits déjà fabriqués à cette date et qui ne respecteraient pas les nouvelles règles ».

«L’Office travaillera avec chaque entreprise pour trouver une solution adaptée à sa situation», ajoute l’organisation.

Les personnes interrogées ont réitéré que les entreprises sont soucieuses de promouvoir la langue française et veulent se conformer à la législation.

«Il y a un désir de bien faire les choses», explique Carson. Mais des règles claires et une approche flexible sont nécessaires pour permettre « une plus grande adhésion », a reconnu Jomphe.

Le ministère soutient que les priorités du gouvernement « en matière de promotion et de protection de la langue française et les objectifs des acteurs économiques sont conciliables ».

Les nouvelles mesures de la Loi sur les langues officielles sont entrées en vigueur graduellement, certaines dès 2002 et d’autres l’année dernière.

– Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois en français le 26 juin 2024.