Revue de théâtre : « La reine de beauté de Leenane », Dorset Theatre Festival

Une vieille femme entre d’un pas lourd dans un salon encombré et s’installe dans un fauteuil en lambeaux et trop rembourré. Ses mains palpitent alors qu’elle ajuste son afghan, puis sa fille arrive à la …

Revue de théâtre : « La reine de beauté de Leenane », Dorset Theatre Festival

Une vieille femme entre d’un pas lourd dans un salon encombré et s’installe dans un fauteuil en lambeaux et trop rembourré. Ses mains palpitent alors qu’elle ajuste son afghan, puis sa fille arrive à la maison, se débarrassant de la pluie. S’ensuit une sorte de petite conversation, mais ces échanges ne sont pas des plaisanteries. Les téléspectateurs apprendront à observer les personnages de près dans La reine de beauté de Leenane, parce que Mag et sa fille Maureen ont perfectionné une guerre malveillante et incessante. Dans la magnifique production du Dorset Theatre Festival, les représentations sont la pièce maîtresse.

Le dramaturge Martin McDonagh a créé une intrigue surprenante de violence psychologique, et la réalisatrice Theresa Rebeck dirige un casting de quatre excellents acteurs qui livrent toute la puissance de la pièce. La franchise émotionnelle du texte peut surprendre, mais elle s’inscrit tout aussi souvent dans l’humour. Les personnages de McDonagh sont tragiques mais intensément humains, et le rire nous fait reconnaître leur absurdité.

Le décor est un cottage rural de l’ouest de l’Irlande dans les années 1990. L’endroit est rempli de choses fatiguées et inutiles, et la cuisine contient encore un grand poêle en fonte. L’ensemble de Dorset comprend un plafond bas en plâtre rapiécé pour amplifier la ressemblance de la pièce avec un terrier que les créatures ne se sentent pas en sécurité de quitter.

L’intrigue semble simple au premier abord : un parent nécessiteux retient sa fille ; une dernière chance d’amour se présente. McDonagh utilise ces éléments familiers pour construire une histoire sombre de personnes émotionnellement blessées qui ne voient que peu d’espoir. Elles ne rêvent de presque rien et, lorsqu’elles sont poussées à bout, elles perdent de vue la frontière entre fantasme et réalité.

Maureen, quarante ans, et sa mère Mag, vivent isolées, avec une télévision et une radio qui fonctionnent mais qui ont besoin de coups durs de temps en temps. Mag est un génie plutôt passif-agressif, collant un doux sourire de vieille dame à ses demandes incessantes, ondulant d’une mélodie irlandaise pas trop joyeuse. «Ma tasse de thé que tu as oubliée!» gazouille-t-elle, creusant jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle veut, ce qui est l’attention exclusive de sa fille. Mais Maureen a son propre style de combat, sans doute justifié après avoir perdu son propre avenir au service de sa mère.

Les deux pourront probablement maintenir leur manipulation émotionnelle jusqu’à la fin des temps, mais Ray, le voisin un peu confus, apporte à Maureen un message qui pourrait l’aider à renouer avec son frère Pato, maintenant de retour de Londres. Cela pourrait conduire à un certain bonheur, mais vérité et fiction se confondent dans cette pièce. Le public commence à se demander de quoi ces gens sont capables, en bien ou en mal.

Reine de beauté, la première pièce de McDonagh, a fait ses débuts en 1996 au Druid Theatre de Galway, en Irlande, avec un grand succès. La production de Broadway de 1998 a été nominée pour la meilleure pièce aux Tony Awards et a remporté le Drama Desk Award dans cette catégorie. McDonagh est surtout connu du public américain comme le scénariste de Trois panneaux d’affichage à l’extérieur d’Ebbing, Missouri et Les Banshees d’Inisherin.

Près de trente ans après sa première, l’histoire du désespoir dans un milieu rural où l’économie est ruinée reste d’actualité et la lutte mère-fille reste forte. McDonagh refuse d’édulcorer quoi que ce soit. Même les friandises que Maureen sert avec le thé sont choisies pour faire mal : elle offre une marque de biscuits bon marché que Mag déteste. Maureen les déteste aussi, mais elle n’accorde pas un instant de plaisir à sa mère. McDonagh extermine toute sentimentalité, nous laissant des personnages destinés à se faire du mal les uns aux autres.

Rebeck établit la tension goutte à goutte de l’histoire avec des effets de pluie à l’extérieur du chalet et une profondeur émotionnelle à l’intérieur. Chaque personnage exprime son besoin par une hésitation ciblée. Tous les quatre sont toujours à la limite des décisions, et pour Mag et Maureen, ces choix dépendent souvent de l’ampleur de la cruauté qu’elles vont entreprendre. Rebeck rythme la guerre émotionnelle au mieux, chaque insulte se heurtant à une bouderie ou à une contre-attaque. Le dialogue mortellement sérieux de McDonagh est impitoyable, et Rebeck laisse le bord sinistre grésiller partout.

Le casting de Dorset comprend la star de Broadway, de la télévision et du cinéma Kristine Nielsen. Dans le rôle de Mag, elle dépeint de manière exquise les glissandos du personnage entre cajoleries enfantines et méchanceté impulsive. Seule dans le chalet, Mag accomplit un acte perfide, ses yeux brillant de folie jusqu’à ce qu’elle se retire sur sa chaise avec un regard anxieux qui se dissout finalement dans un calme étrange. Nielsen frappe chaque note singulière. Mag maîtrise le sourire pitoyable de l’impuissance, contrôlant sa fille tout en cachant son triomphe. Nielsen plonge profondément dans l’hostilité dangereuse et joyeuse du personnage.

Maxine Linehan révèle le vitriol de Maureen à côté de sa souffrance. Passant de sympathique à inflexible, Linehan produit un personnage doué pour cacher ses pensées. Soldat fatigué dans un cardigan en laine, sa Maureen traîne avec épuisement tout en s’occupant de sa mère, puis retrouve sa vivacité lorsqu’elle ramène un rendez-vous à la maison. Maureen et Pato n’ont aucune facilité à flirter mais y insistent néanmoins. Linehan équilibre Maureen sur le fil du besoin et du désespoir, puis achève la transformation du lendemain matin en affichant une nouvelle impudeur à Mag.

David Mason, dans le rôle de Pato, incarne un personnage enraciné dans la timidité mais imitant la bravade d’un artiste pick-up. Pato a ses propres couches et Mason excelle à transmettre sa version sans fioritures du romantisme dans une lettre tendre. Pato est aussi direct que Maureen est sournoise, et Mason fait preuve de courage simple.

Eimhin Fitzgerald Doherty donne à Ray une présence nerveuse, la tête tournant constamment pour comprendre la pièce. Il se tord anxieusement dans son pantalon de survêtement et son maillot de sport mal ajustés, livrant des observations qui passent de l’enfantillage à la ruse. Le personnage semble un peu stupide, et Doherty le joue comme un fil sous tension, extrêmement inconscient.

La conception impressionnante des décors, des costumes, de l’éclairage et du son de Dorset concentre notre attention sur le chalet en décomposition et ses misérables occupants.

Ces personnages peuvent supposer qu’une vie de déception les attend. Le public ne peut rien supposer, car l’histoire est imprévisible et terrifiante. Reine de beauté n’est pas une pièce mettant en scène une famille dure dont la colère se dissout lorsqu’elle fait face à des problèmes ensemble. Ici, la colère demeure.