Le bureau du greffier de la Cour suprême du Canada a reçu vendredi un avis juridique d’un groupe québécois de défense des droits civiques contestant le refus inébranlable de la Haute Cour de traduire ses décisions historiques en français.
Droits collectifs Québec a déposé une requête devant la Cour fédérale à Montréal après avoir échoué à faire traduire les documents par le greffier — qui sert d’organisme administratif au tribunal —.
Le procès porte sur plus de 6 000 décisions rendues entre 1877 et 1969, année d’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles, obligeant les institutions fédérales à publier du contenu en anglais et en français.
Le groupe de défense des droits a initialement déposé une plainte auprès du commissaire aux langues officielles. En réponse, la Cour suprême, qui traduit les décisions depuis 1970, a fait valoir que la loi ne s’applique pas rétroactivement.
En septembre, le commissaire Raymond Théberge a statué que même si la loi ne s’applique pas rétroactivement, toute décision publiée sur le site Internet de la Cour doit être disponible dans les deux langues officielles. Le fait de ne pas traduire les jugements constitue une infraction à la loi, a-t-il déclaré, donnant à la Haute Cour 18 mois pour corriger la situation.
Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a déclaré aux journalistes en juin que les décisions antérieures à 1970 présentaient avant tout un intérêt historique, arguant qu’elles constituaient « un héritage culturel juridique rendu obsolète par l’évolution du droit québécois et canadien ». Le tribunal ne dispose pas des ressources nécessaires pour mener à bien une telle opération, a-t-il déclaré, ajoutant que cela prendrait une décennie et coûterait plus de 20 millions de dollars.
L’avocat du groupe québécois des droits civiques n’est pas d’accord.
«Les décisions des tribunaux constituent des précédents, elles ont un poids juridique, elles ont un sens juridique et elles entraîneront des conséquences juridiques aujourd’hui», a déclaré François Côté, avocat de Sherbrooke, au Québec.
«Même si la loi a changé, si de nouvelles lois étaient adoptées ou si des lois étaient abrogées… qu’en est-il des principes juridiques ? Qu’en est-il du raisonnement juridique ?»
Le groupe de Côté souligne une décision de la Cour suprême de 1985 qui exigeait que le gouvernement du Manitoba traduise toutes les lois de la province adoptées depuis 1867, quel qu’en soit le coût. Etienne-Alexis Boucher, directeur général du groupe, dit ne pas comprendre le refus de la Haute Cour de traduire ses documents historiques alors qu’elle a forcé d’autres institutions fédérales à traduire les leurs.
Si la Cour suprême bénéficie de l’immunité judiciaire, le procès vise plutôt le greffier du tribunal, qui fait partie de la fonction publique.
Un porte-parole de la Cour suprême a déclaré vendredi que le bureau du registraire ne ferait aucun commentaire puisque l’affaire est actuellement devant les tribunaux.
Boucher a déclaré que son organisation demande des excuses publiques du bureau du registraire aux francophones canadiens pour ne pas avoir respecté leurs droits linguistiques, ainsi qu’un jugement déclaratoire reconnaissant que la Cour suprême a commis une erreur en refusant de traduire les décisions historiques. De plus, le groupe demande une ordonnance judiciaire obligeant les traductions des décisions dans les trois ans suivant le jugement, à être effectuées par des traducteurs juridiques et non exclusivement par le recours à l’intelligence artificielle.
La poursuite réclame également 1 million de dollars de dommages exemplaires, dont la majeure partie reviendrait à des groupes dédiés à la préservation de la langue française.
Côté a déclaré que cela pourrait prendre plusieurs mois pour que l’affaire franchisse les étapes préliminaires, mais il espère un règlement à l’amiable.
«Nous parlons du gardien de la Cour suprême», a déclaré Côté. «Nous parlons d’une des plus hautes institutions de l’Etat, qui doit être tenue au niveau le plus élevé et exemplaire.»