Pour Neil Shepard, « échec » n’est pas un gros mot. Défauts personnels, erreurs sociales, chaos cosmique — l’ancien directeur du programme d’écriture du Vermont Studio Center et rédacteur fondateur de Revue des Montagnes Vertes sprinte à travers le gant dans son neuvième recueil de poésie crépitant, Le livre des échecs.
Des moments de bonheur pastoral sont nichés dans les premiers poèmes, mais le recueil commence vraiment à éclater lorsque Shepard décortique la délicate trêve entre lui et son père, employant adroitement des questions rhétoriques pour réconcilier un gouffre de toute une vie :
Ne voulons-nous pas tous une deuxième enfance
remboursé en fin de journée ?
Dans « The Wasting », une élégie phénoménale de neuf pages qui clôt la première section, Shepard se penche sur la répression, la fracture générationnelle et la déception patriarcale. Mais l’hostilité du poète s’adoucit lentement à mesure que son père sombre dans les affres de la sénilité. Bientôt, les questions deviennent des réponses, et un ressentiment volcanique couve alors que ce qui semblait autrefois impossible – l’intimité et l’empathie – est à portée de main :
Moi qui avais vécu avec lui, j’avais tellement d’in-
résolu, tellement profond, non reconnu…
quoi que ce soit qui déchire le monde—
de lui à moi, de moi à lui – jusqu’à la mort
nous nous séparons, alors aide-moi, Dieu, je l’ai.
La collection n’est pas que pessimiste et familiale. Les pièces ultérieures associent l’émerveillement face au monde naturel à la transcendance de l’art. Shepard veut que nous savourions, cajolons, appelions et répondions à quelque chose qui nous dépasse – à Dieu, Bill Evans, les jacinthes, Auguste Rodin, les cormorans. Avec une intensité cinétique, il entraîne le lecteur sur un chemin de découverte, reliant notre moi originel à la beauté insondable du monde.
Dès les dernières pages, nous sommes en territoire künstlerroman, le récit de la maturité d’un artiste. Ici, nous rencontrons un écrivain dans sa septième décennie, en confinement pandémique en Europe, réfléchissant à l’absurdité de l’ego artistique dans la tourmente mondiale, à la compréhension de l’immatérialité. C’est un poète aguerri qui propose une vision claire, une élévation, un hymne :
Et certaines odeurs sont si vieilles
ils reviennent avant les muscles
évolué vers le cerveau-retour
quand le gibier était dans le vent,
le pécule dans la canopée—
quand nous étions petits
plus que de la mousse et de la poussière
et tous nos sens étouffés
et touché à travers les vrilles—
et de retour avant quand l’étoile de mer
j’ai senti les étoiles dans le sel, et
secousses électriques des méduses touchées
les matériaux cosmiques—
à l’époque où la mer était fraîche.
Le livre des échecs se délecte de ses confessions rauques – 37 poèmes extatiques de plainte effrontée, de célébration et de rejet. Ces poèmes exultent d’une cavalcade d’idées émanant de personnalités artistiques – de Shepard lui-même à Amy Winehouse en passant par James Wright et Dorianne Laux – et de la pureté et de l’imperfection du monde sauvage. Puis ils reviennent au point final inévitable de tout poète : la mortalité. C’est l’élégie comme diatribe et rhapsodie, la clôture comme appel à l’action, un père mourant incapable de parler, un fils vieillissant enfin capable de s’attarder et d’écouter, un poète prêt à s’éclipser pour prendre du recul et s’émerveiller devant les merveilles, grandes et petites.