Quinze ans après avoir intenté une action en justice contre le gouvernement canadien au sujet de sa détention au Soudan, Abousfian Abdelrazik peut désormais comparaître devant les tribunaux.
Un procès civil de huit semaines, qui doit s’ouvrir lundi devant la Cour fédérale, devrait revenir sur des événements qui se sont déroulés il y a vingt ans dans un contexte de vigilance accrue contre la menace de l’extrémisme.
Abdelrazik réclame 27 millions de dollars pour son calvaire à l’étranger, affirmant qu’Ottawa a organisé son emprisonnement arbitraire, encouragé sa détention par les autorités soudanaises et fait activement obstacle à son rapatriement au Canada pendant plusieurs années.
La plainte, déposée en 2009 et modifiée en 2017, nomme également Lawrence Cannon, ministre conservateur des Affaires étrangères de 2008 à 2011.
Abdelrazik, 62 ans, nie toute implication dans le terrorisme.
Il a obtenu le statut de réfugié en 1990 après son arrivée au Canada, est devenu citoyen canadien cinq ans plus tard et vit maintenant à Montréal.
Il a été arrêté lors d’une visite au Soudan en 2003 pour voir sa mère malade.
En détention, Abdelrazik a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité sur des liens présumés avec des extrémistes.
Il affirme avoir été torturé par des agents des services de renseignement soudanais pendant deux périodes de détention.
Il est revenu au Canada en 2009 après que la Cour fédérale a statué qu’Ottawa avait violé ses droits constitutionnels en refusant de lui donner un passeport d’urgence.
Les avocats fédéraux rejettent les suggestions selon lesquelles la Couronne aurait manqué à toute obligation de diligence envers Abdelrazik ou qu’une telle violation aurait contribué à son emprisonnement présumé, à sa torture et à ses mauvais traitements.
Le procès civil devait commencer en 2018, mais a été ajourné en attendant un examen des courriels, des notes de service et d’autres documents liés à l’affaire en vertu de la Loi sur la preuve au Canada.
«Il est honteux que cette affaire ait mis 15 ans à être jugée alors que le gouvernement canadien a tout essayé pour la retarder et la faire dérailler», a déclaré Paul Champ, l’avocat d’Abdelrazik.
Parmi les témoins de haut niveau attendus figurent Cannon ; Maxime Bernier, qui l’a précédé comme ministre des Affaires étrangères; Margaret Bloodworth, ancienne conseillère à la sécurité nationale ; David Vigneault, directeur du SCRS récemment quitté; et l’ancienne sénatrice Mobina Jaffer.
La Couronne a récemment perdu une tentative visant à faire témoigner à huis clos plusieurs responsables de la sécurité, actuels et anciens, dans le cadre du procès.
Le juge de la Cour fédérale Patrick Gleeson a rejeté une requête des avocats du gouvernement visant à exclure le public et les médias de la salle d’audience pendant les témoignages des fonctionnaires afin d’empêcher la divulgation par inadvertance de secrets sensibles.
Champ soutient que les éléments de preuve indiquent en grande majorité que le SCRS travaille avec la Central Intelligence Agency des États-Unis pour organiser l’arrestation d’Abdelrazik par les autorités soudanaises.
Dans sa défense modifiée, le gouvernement affirme que le SCRS avait des motifs raisonnables de supposer qu’Abdelrazik « constituait une menace à la sécurité du Canada en raison de liens présumés avec le terrorisme international ».
Cependant, il nie que le Canada ait partagé des informations avec le Soudan sur Abdelrazik avant sa détention.
L’un des documents divulgués dans l’affaire, une note secrète de juillet 2006 adressée à Kevin Lynch, alors greffier du Conseil privé, dit que, compte tenu de l’intérêt passé des autorités américaines pour la localisation d’Abdelrazik, « nous devrons démontrer aux États-Unis que nous prenons au sérieux tous les aspects de cette affaire de sécurité. »
Champ a déclaré que cette affaire est un horrible exemple de la façon dont les agences de renseignement peuvent détruire la vie d’une personne et violer ses libertés, tout cela dans l’ombre et en toute impunité.
«Le cas de M. Abdelrazik devrait être important pour tous les Canadiens, car nous avons besoin que les tribunaux condamnent avec force le gouvernement lorsqu’il viole les droits et libertés d’un citoyen sur la base de seuls soupçons.»
— Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois le 21 octobre 2024.